CRÉATION 2023-2025
spectacle sans paroles. Théâtre du geste
NOTE D’INTENTION par Carolina Garel Carballeira
Tout commence par un sentiment personnel , que je ressens fortement : a morriña .
Il y a quelques années, ma sœur m’a envoyé ce tableau, depuis la Galice, ma terre natale, et cette image m’a laissée sans souffle ; je me sentais identifiée au personnage : comme lui, mon être profond est toujours attaché à la terre qui m’a fait grandir.
Je viens d’une région qui a émigré massivement à cause de la famine et qui continue à émigrer aujourd’hui, faute d’opportunités dans notre territoire.
Un fort exode vers l’Argentine, le Mexique, le Chili, l’Allemagne et même la France a eu lieu durant les XIX et XX siècle.
Dans toutes ces contrées du monde, les galicien.ne.s sont resté.e.s ensemble, dans un entre-soi : des Maisons de la Galice sont nées, il.le.s ont fêté nos fêtes galiciennes, continué nos coutumes et mangé notre nourriture, mais en ressentant toujours un manque, un mal dû à une absence, une profonde tristesse mêlée à une angoissante mais douce nostalgie.
Un mot est alors employé : morriña, qui désigne la peine et la souffrance d’être loin de nos proches, de nos paysages, de notre culture, de nos parfums et même de notre cuisine .
Mais a morriña ne désigne pas que ça; c’est aussi un sentiment d’être présent dans le passé et passé dans le présent, de chercher un lieu, une époque qui n’existent plus, qu’on a été obligé de quitter.
L’humanité a toujours entrepris des voyages, plus ou moins longs, pour s’installer ailleurs.
Depuis le début des traces écrites, on trouve des textes parlant des déplacements des peuples entiers, contraints par le climat, les famines, les guerres ou, simplement, parce que cela fait partie de la nature humaine.
Avec ces déplacements, on voit ainsi se dessiner une dialectique de l’ici et de l’ailleurs : une vie rendue impossible dans sa terre natale mais aussi une vie impossible ailleurs, dans l’inconnu, dans un lieu où l’exilé.e ne trouve pas sa place.
Le présent est parasité par le passé, puisque l’exilé.e est divisé.e entre deux mondes appartenant à deux époques : le présent dans le pays d’accueil, le passé reconstruit avec une évocation subjective, créant ainsi la quête identitaire du personnage. Le passé, qui sert de pilier est, la plupart du temps l’enfance ou la jeunesse. Le présent, c’est le temps de l’âge adulte. C’est donc dans cet entre-deux du passé subjectif et du présent, ressenti comme extérieur et étranger, que l’exilé.e va construire sa nouvelle identité.
Le mal-être, la tension naissent de cette contradiction entre le monde actuel environnant qui ne lui appartient pas et le monde ancien rêvé.
Avec cette construction, l’émigré.e n’est plus le même qu’il.le était avant son départ. L’individu se trouve non seulement entre deux lieux, mais aussi entre deux cultures qui forgent son identité.
Et quand il.le retrouve sa terre, il.le ne la reconnaît pas, parce qu’elle a évolué sans lui, le lien avec ce qui l’entoure n’est plus.
L’entre-deux persiste : il.le est doublement déraciné.e.Il.le est privé.e d’identité, d’un côté comme de l’autre.
Morriñas est une création qui part d’une émotion très intime pour devenir universelle et collective.
Nous avons fait le choix de travailler avec une équipe de déracinées, pour que la sensibilité de chacune autour de notre thématique puisse être mise en valeur.
Nous voulons explorer les tensions, les nostalgies créées par cet éloignement et aussi l’expression diverse de chacun.e pour un même sentiment, qui peut être nommé dans plus d’une centaine de langues.
Nous récolterons des témoignages des gens venus de n’importe quelle région du monde pour les traduire en langage corporel et construire le spectacle.
SYNOPSIS
Garder le lien quoi qu’il en soit.
C’est la phrase que notre protagoniste se répète sans
cesse. Un lien qui attache, qui protège, mais aussi qui
renferme et qui ne la laisse pas avancer.
Nous allons vivre avec elle, d'abord, sa curiosité, sa
projection; ensuite, son départ et sa prise de risque :
elle se déplace, déracine son être et le re-place dans
un voyage à travers des nouveaux univers, qui la
transforment, l’enrichissent et qui l’éloignent de plus
en plus de son essence originelle. Un corps-racines,
un corps-mémoire… planté nulle part.
Nous vivrons avec elle son déchirement, a morriña, la
culpabilité, la solitude et l’attachement qui revient…
parce qu’elle est la mémoire vivante de ses racines,
plantées nulle part.
Elle est déracinée… mais il lui faut garder le lien quoi
qu’il en soit.
Nous partagerons sa relation aimantée avec son passé,
cette polarité qui change sans cesse, parfois attirée,
parfois repoussée. Aussi nous verrons les
changements de caractère, de matière, d’être profond,
grâce aux rencontres et apprentissages : elle aura des
nouvelles textures, des nouvelles formes, des
nouvelles couleurs… mais que se passera-t-il quand
elle rentrera ? On la reconnaîtra ?
Garder le lien quoi qu’il en soit.